Double album ou quadruple EP, le huitième Beach House est un chef-d’œuvre qui récapitule ce que le groupe offre de plus précieux depuis une douzaine d’années (Bella Union, 2022).
Le 9 novembre dernier, Beach House annonçait la sortie d’un nouvel album titanesque (dix-huit titres), à raison de quatre fournées jusqu’au 18 février dernier. Aucun single, donc, mais un quart de l’album révélé mensuellement au fil de l’hiver. La première livraison donnait déjà le ton – toujours le même, serait-on tenté de penser cyniquement tant la recette reste stable d’un album de Beach House à l’autre. Mais ce serait oublier que depuis quelques années, le groupe de dream pop a sérieusement musclé son jeu.
En 2015, Depression Cherry s’aventurait ainsi dans un mélange inédit de tendresse et de violence, la pochette en doux velours soyeux abritant des morceaux d’une intensité alors inédite dans la discographie du duo. Les guitares rugissantes de « Sparks », premier single, plaçaient le groupe de Baltimore au cœur d’un héritage shoegaze que les albums précédents suggéraient avec discrétion. Plus aucun doute permis avec Thank Your Lucky Stars (2015), puis surtout 7 (2018), Alex Scally et Victoria Legrand sortant de leur hibernation au rythme de morceaux de plus en plus rugueux. Les singles « Dark Spring » et « Dive », et surtout la tournée 7, ont rendu évident ce que Legrand clame haut et fort depuis 2012 et une interview au Guardian : « We are a loud band ».
Once Twice Melody est un nouveau chef-d’œuvre en clair-obscur, à la fois terriblement intense et doux comme un songe. Scally et Legrand semblent clore ici une période qui courait depuis 2015. Le triptyque Depression Cherry – Thank Your Lucky Stars – 7 a permis au groupe d’explorer une facette presque abrasive de son identité musicale, toutes guitares dehors, la sueur au front, enrôlant Christopher Bear, l’exubérant batteur de Grizzly Bear, sur tous ses disques depuis Depression Cherry. Point de violence dans Once Twice Melody, mais un périple en apesanteur empruntant à tous les styles perfectionnés avec soin par le groupe depuis ses débuts.La fin de ce nouvel album offre un vrai voyage dans le temps : la guitare slide langoureuse de « The Bells » rappelle celle de « Gila », première perle du groupe (sur Devotion, en 2008).
« Hurts to Love » est rythmée par une boîte à rythme qui n’aurait pas dépareillé sur Teen Dream, l’album qui ouvrit au duo les portes d’un succès international, en 2010. Mais le groupe propose davantage qu’un simple trip mélancolique. Sur « Superstar », des cordes soutiennent une envolée orchestrale jamais entendue chez Beach House – juste assez pour sublimer le combo habituel de guitare et de synthétiseur. Autre nouveauté : la tentation d’une durée plus étendue sur « Over and Over », qui dépasse les sept minutes.
« Last Ride », dernier morceau de 7, approchait déjà ce format à rallonge, mais le groupe accomplit ici sur disque ce qu’il proposait en live en étirant « Irene » pour clore ses performances dans une immense boucle, entre hypnose et extase. Enfin, difficile de ne pas hausser un sourcil en découvrant la guitare acoustique de « Sunset » chez un groupe qui n’a juré, pendant quinze ans de carrière, que par ses claviers, ses boîtes à rythme et sa guitare électrique au son de jouet pour enfant.
Il est difficile, et peut-être hypocrite, d’identifier des révolutions chez Beach House. En deux écoutes, les morceaux de ce nouvel album semblent déjà tendres et familiers. Mais peut-être n’a-t-on pas besoin d’attendre d’un groupe qu’il se métamorphose en permanence. Ou bien peut-être que certains groupes subissent des révolutions si lentes qu’il faut des années pour se rendre compte qu’elles ont eu lieu. La vue d’ensemble offerte par Once Twice Melody sur la carrière du groupe démontre qu’au-delà de son éternelle douceur réverbérée, Beach House s’est lentement réinventé, un album à la fois, presque en douce, sans qu’on ne s’en rende compte. C’est ce qui forge aujourd’hui une identité sonore déjà mythique, à la fois toujours fidèle à elle-même et ouverte à de discrètes audaces.
Rémi Lauvin