SPOON — LUCIFER ON THE SOFA (Matador, 2022)

Cinq ans après l’éclectique Hot Thoughts, les Texans de Spoon reviennent avec un album tonitruant.

Les dernières notes du saxophone rêveur de « Us », en clôture de Hot Thoughts, s’évaporaient paisiblement, loin des guitares tranchantes qui avaient couronné Britt Daniel et consorts en tant que dignes héritiers de Joe Strummer. Le groupe lui-même semblait avoir atteint un point de sophistication, dans son écriture et dans sa production, lui permettant de disparaître derrière ses arrangements. Ni guitare, ni batterie, ni rugissement : quelques nappes de saxophone, et rideau.

« Held » ouvre le récent Lucifer on the Sofa avec une reprise athlétique du morceau de Smog, sorti sur Knock Knock (1999). Spoon renoue sans ambiguïté possible avec ses tendances les plus tranchantes : la plupart des pistes ont été enregistrées en une prise, et cela s’entend.

« The Hardest Cut », premier single de l’album, offre ainsi un refrain instrumental surpuissant, à une note, taillée pour le live. Le piano qui ouvre « On the Radio » n’aurait pas dépareillé sur un album des années 1970 de David Bowie, mais laisse place aux grondements de Telecaster et au groove puissant de la batterie de Jim Eno. On retrouve ici la production claire et nette de Dave Fridmann, gourou des Flaming Lips, qui avait privé Daniel de réverbération sur They Want My Soul, ouvrant au groupe la voie d’un rock limpide dont il n’a pas encore épuisé le filon.

On connaît le goût de Spoon pour la simplicité. C’est la grande leçon de Prince, que Daniel aime à citer : musicalement, less is more. « Everything Hits at Once » sur Girls Can Tell, « I Turn My Camera On » sur Gimme Fiction, « Don’t You Evah » sur Ga Ga Ga Ga Ga, « Do You » sur They Want My Soul : une phrase de guitare ou de basse, le punch élémentaire d’Eno et la fougue de Daniel, pas besoin de beaucoup plus. « Wild » se rapproche le plus de cette formule magique.

Le groupe décrit le single comme « un morceau de rock pur et dur fait pour marcher fièrement le long de routes réelles ou imaginaires ». De quoi se souvenir que l’album a été écrit par Daniel sous le soleil bouillant d’Austin, un chapeau de cow-boy vissé sur le crâne. Lucifer on the Sofa transpire de cette énergie brute qui ne demande qu’à exister sur scène. C’est quand, la tournée européenne ?

Rémi Lauvin