Oliver Sim, ex-xx, entre Dr. Jekyll et Mister Hyde

Pour sa première aventure solo hors de The xx, Oliver Sim livre un album parfaitement équilibré entre auto-confession et exploration du dancefloor.

En 2009 débarquait sur la scène musicale indépendante une petite troupe lugubre : quatre Britanniques au visage pâle (puis trois, après le départ de la multi-instrumentiste Baria Qureshi) sobrement nommés The xx. Le succès du premier single, « Crystalised », puis de l’album xx, fut immédiat. C’était étrange : on voyait triompher ces ex-adolescents mutiques, vaguement gothiques, dans strictement tous les domaines. Leurs morceaux ont accompagné bien des campagnes de publicité, tout en séduisant les monstres sacrés de la musique indépendante britannique et de la soul Américaine. La faute à Jamie xx et à ses collaborations avec Gil Scott-Heron (pour l’album We’re New Here en 2011, remix intégral d’I’m New Here, ultime album de Scott-Heron) et Radiohead (pour l’incroyable refonte de “Bloom”, la même année).

En 2014, à la fin de la tournée du second album Coexist, le groupe s’est produit en résidence au Park Avenue Armory de New York lors de vingt-cinq performances consécutives. Parmi la quarantaine de membres du public présents chaque soir se trouvaient Jay-Z, Beyoncé, Björk, Wes Anderson et Madonna, entre autres. Il y avait donc dès le départ une sacrée contradiction entre l’allure de croque-morts des membres du groupe et l’immense popularité de leur musique. 

Depuis, Jamie xx a fait danser à peu près n’importe quel millennial de la planète et sorti un album solo en 2015. Pochette bariolée, steel drum, échos de toutes les époques de la dance music britannique : In Colour assume une direction bien plus festive que les premières productions du groupe. Romy Madley Croft, guitariste et chanteuse, entend bien assumer elle aussi : depuis la sortie d’un single électro-pop bondissant en 2020 (“Lifetime”), elle porte des chemises à fleurs, sourit à pleines dents et annonce pour bientôt la sortie d’un album solo de “chansons lesbiennes”.

“Hideous Bastard”

Qu’en est-il d’Oliver Sim, bassiste et crooner ténébreux du trio ? Son premier album, Hideous Bastard (Young, 2022), semble moins extatique que les aventures solo de ses deux camarades : le communiqué de presse annonce la séropositivité de l’artiste et décrit la volonté de transcender la haine de soi en une forme d’amour. À juste titre : le premier single, “Hideous”, est presque trop émouvant. Jimmy Somerville, contre-tenor de Bronski Beat, héros du London Gay Teenage Group et mémoire vivante de la pop des années 1980, intime Sim de se croire digne d’amour (“Be bright, have trust / Just be willing to be loved”), et alors Sim déclare en chantant, tandis que la musique s’adoucit derrière lui, comme par pudeur : “Been living with HIV since 17 / Am I hideous ?”

Le reste de l’album suit cette direction : assumer, vivre avec, prendre la lumière, danser franchement. “Romance with a Memory”, “Fruit” et surtout “GMT”, les singles successifs, regorgent de mélodies et de rythmes franchement chaloupés. Et puis il y a la production de Jamie xx, aussi aérée que toujours—les deux ont écrit l’album sous le soleil d’Australie en écoutant les Beach Boys, leur studio microscopique donnait sur la mer. Le clip de “Hideous” (réalisé par Yann Gonzalez, habitué des métamorphoses et des clair-obscurs érotiques) est même, pour la première fois dans l’histoire de The xx, franchement marrant. Voyez Sim flanqué d’un monstrueux masque de latex vert, voyez le visage rond de Somerville couvert de diamants, à mi-chemin entre Hellraiser et Lil Uzi Vert, le tout dans une parodie de tournage porno gay d’un film intitulé Beauty and the Fist

Les xx n’ont jamais été aussi peu moroses—de quoi trépigner sec avant la prochaine reformation du trio.

Rémi